Jean-Michel
YOLIN
le 1 avril 2001
Un nouveau champ
de recherche, maintenant stratégique: les Politiques Publiques
Jusqu'à
présent, à l'abri des frontières, l'État légifère
sans ressentir le besoin de s'appuyer sur des équipes de recherche
structurée (sauf pour certaines réglementations techniques
comme dans le nucléaire avec le CEA)
Aujourd'hui
plusieurs phénomènes concomitants obligent à reconsidérer
la façon dont l'Etat prend ses décisions
-
avec la
mondialisation et les progrès de la science les phénomènes
dont les pouvoirs publics doivent assurer la régulation deviennent
beaucoup plus complexe: instabilité des bourses avec les
produits dérivés (et émergence de bourses virtuelles
pan-européennes comme Jway, application du principe de précaution
(radioactivité, OGM, ruminants...), outils techniques nécessaires
aux autorités indépendantes pour la régulation (prix
de revient, évaluation de la concurrence,…), adaptation des règles
anti-monopoles dans le domaine du logiciel (procès Microsoft ou
le monopole tient en fait à une privatisation d'un standart et ne
peut être tranché avec les règles conçues pour
des entreprise de "production")
-
jusqu'à
une période récente l'État était lui-même
l'acteur économique majeur. Ayant dorénavant abandonné
cette fonction, il se trouve maintenant dans une position de régulateur:
cela demande sans doute beaucoup plus "d'intelligence" pour réguler
un système complexe dans une économie ouverte, en concurrence
avec ses voisines que pour donner des ordres dans une société
à l'abri de ses frontières
-
avec la
création de l'Europe il ne s'agit plus de prendre seul, dans
le cadre d'un processus hiérarchique, les décisions que l'on
pense les meilleures, mais d'arriver à
convaincre nos partenaires,
de la justesse de nos idées et pour cela il est nécessaire,
de pouvoir s'appuyer sur des arguments solidement étayés,
plus que sur de brillants discours
-
avec l'Internet
on constate par ailleurs une considérable
accélération
des mutations économiques et sociales: les mécanismes
de régulation, qui eux restent soumis une certaine inertie administrative,
s'en trouvent d'autant plus délicats à concevoir (droit
de la propriété intellectuelle sur les logiciels, droit de
la concurrence, …)
-
enfin
Internet
en gommant le temps et les distances
abolit la notion de territoireet
donc pour partie remet en cause les principes de souveraineté
et par là-même rends, de facto, caduques un grand nombre de
lois purement nationales (règles de censure, droit de l'information;
lois sur le jeux, publicité sur le médicament, l'alcool,
la drogue, publicité comparative, responsabilité pénale
de l'hébergeur, droit de la preuve (signature électronique),
cyberdélinquance, exclusivité territoriale, droit du travail
(télétravail), protection de la vie privée, lois sur
la cryptographie, création monétaire, protection du consommateur,
fiscalité des transactions immatérielles… pour n'en citer
que quelques-unes)
Par ailleurs
un droit ne vaut que s'il est effectivement applicable, ce qui n'est plus
aujourd'hui bien souvent le cas car ce qui est illégal dans notre
pays ne l'est pas forcément dans celui ou les faits se sont produits
et que les moyens techniques de détection et de sanction des infractions
n'existe souvent pas
Il convient donc
de reconstruire une bonne partie de notre droit:
-
pour celà
il est nécessaire de développer une véritable "ingénierie
juridique" permettant à partir d'un "cahier des charge" défini
par le "Politique" de forger un outil juridique efficace: cohérent
avec les objectifs poursuivis (sans effets pervers), effectivement applicable
(infractions bien caractérisées, sanctions), équitable,
rapide, peu coûteux, avec des mécanismes d'évaluation
permettant d'en controler les éventuelles dérives. Cela nécessitera
la constitution d'équipes associant chercheurs en droit, en économie
et en sciences, capables de forger de nouveaux concepts, des méthodologies
et de former des experts
-
par ailleurs
une partie substantielle des règles de droit ne pourront être
qu'internationales et, pour que notre culture juridique soit prise en compte,
il est indispensable que nos équipes travaillent dans des réseaux
internationaux, là où s'élaborent les consensus mondiaux
et qui finissent par s'imposer aux États.
Les Ecoles
des Mines, qui forment des fonctionnaires, ont un rôle majeur à
jouer dans ce domaine auprès des Pouvoirs Publics (de la même
qu'elles mènent aujourd'hui des recherches au profit de l'économie)
:Il conviendrait sans doute que de telles équipes soient formées
dans chacune des Écoles formant les cadres de l'État, notamment
à l'ENA aux Télécom, aux Ponts, au GREF,…, et que
celles-ci travaillent étroitement en réseau.
Le
réseau ainsi formé par ces écoles devra bien entendu
développer des collaborations avec les autres équipes de
recherche travaillant dans des champs scientifiques connexes (CEA, INSERM,
INRA, INRIA, CNRS, université...) et tisser des liens particulièrement
étroits avec ses homologues des autres pays européens et
de l'OCDE
Les Ecoles devraient
également être les lieux ou s'épanouissent de véritables
Think Tanks
Ces
structures de réflexion, où se retrouvent pour réfléchir
ensemble chercheurs, entrepreneurs, décideurs politiques, intellectuels,
responsables religieux, journalistes,…. hors des feux médiatiques
et des jeux de rôle auxquels chacun est tenu, paraissent essentiels
pour concevoir, maturer et faire accepter les nouvelles régulations
nécessaires à notre société. De telles équipes
de recherche fournissent le terreau fertile propice à leur épanouissement
De
telles structures qui prolifèrent aux Etats-Unis y jouent un rôle
tout à fait fondamental dans le fonctionnement de la vie publique:
nos Ecoles doivent prendre l'initiative dans ce domaine (Le cas du groupe
animé par Gustave Defrance et André Claude Lacoste, autrefois
le club des annales des mines et aujourd'hui le club de l'École
de Paris, les groupes de réflexion de l'amicale sont des initiatives
qui vont tout à fait dans ce sens : ne faudrait-il pas changer de
braquet?
Voir
par exemple http://www.liberation.fr/quotidien/debats/juillet00/20000703c.html